Acteur bien étrange, à la personnalité réservée tout en étant en quête de rôles puissants et complexes ; homme sérieux basculant en un éclair dans l’ironie et l’espièglerie compulsive, acteur toujours dans le doute dont les principales influences : Dustin Hoffman, Patrick Dewaere, Robert De Niro, Robert Duvall, Christopher Walken, Gene Hackman, John Hurt et bien sûr, Jean Gabin, l’obligent à la mise à l’épreuve constante, au dépassement de soi perpétuel avec cette sincérité qui rend possible de toucher à universel comme à l’intemporel. Thierry Frémont a une passion : jouer des rôles, un talent : les jouer jusqu’au bout, sans concession, s’accordant bien peu de répit pour la vie « civile », sa vie privée que lui-même avoue « difficile, tant j’ai peu de temps à lui consacrer ». Depuis quelques années, le public peut enfin contenter son attente : l’acteur est sur plusieurs fronts à la fois (téléfilms, cinéma, théâtre), les critiques ne tarissent pas d’éloges.
 
 

Frémont est un puriste, qui opte pour des choix personnels et difficiles, loin, bien loin des mondanités parisiennes ou de la jet set. Son "danse floor" à lui ? Son appartement parisien ou noctambulisme rime avec activisme, celui qu’il a fait sien et qui consiste à toujours vouloir peaufiner, retravailler un rôle que d’autre, peut-être, ont occulté dès la sortie de plateau.

« Je ne peux pas faire autrement que de retravailler mes personnages le soir, comme un besoin d’être à la fois tout en eux et en même temps de leur apporter ce qu’ils pourraient être de plus, c’est plus fort que moi… ».

 
 
On pourrait croire à un peu de vanité et pourtant les faits sont là : Molière 2004 du meilleur second rôle pour la pièce « Signé Dumas » avec Francis Perrin, 2,5 millions de spectateurs pour « Espace détente » où il joue avec ses amis Bruno Solo et Yvan Le Bolloch’, Emmy Awards 2005 du meilleur acteur remis à New York pour son interprétation de Francis Heaulme pour le film « Dans la tête du tueur », succès critique unanime pour la pièce « Le Miroir » d’Arthur Miller dont il interprétait et créait pour la première fois à Paris et en France le rôle principal. A cela, en parallèle, il faut ajouter la sortie « Des Brigades du Tigre » dans lequel il joue un anarchiste-terroriste russe (et ou d’ailleurs, il ne fait que parler en russe !). Oui, cet homme a mangé du lion, toujours à l’affût, il court de rôle en rôle, avec le luxe de ne s’autoriser à jouer que ce qui le touche, le fascine.
 
     
 
Comme tout prédateur, le comédien choisit ses « proies », le temps ne lui fait pas peur et s’il faut parfois laisser passer quelques propositions ce n’est que pour mieux savourer à pleines dents, à pleine âme, une cible plus consistante. Car il y en a eu du temps entre son premier film « Les Noces Barbares » (où il obtient le Prix Jean Gabin) et aujourd’hui. Les débuts sont d’ailleurs prometteurs puisque son deuxième film : «Travelling avant» (de Jean-Charles Tacchella 1987) lui fait obtenir le César du Meilleur espoir masculin ce qui génère une rencontre importante avec José Giovanni aboutissant, en 1988, au film « Mon ami le traître ».
 
     
 
S’ensuit alors un long chemin de sacerdoce cinématographique qui l’a notamment amené à jouer des rôles historiques : « L’affaire Dreyfus » (d’Yves Boisset 1995), « Les caprices d’un fleuve » (de Bernard Giraudeau 1996), poétiques : « Arthur Rimbaud, l’homme aux semelles de vent » (de Marc Rivière 1995) et sociaux : « Fortune Express » (d’Olivier Schatzky 1991) pour lequel il perd 17 kg. Toujours en quête de projets et de personnages poignants, il marque une génération entière avec son personnage de Jésus dans le film culte de Bernie Bonvoisin : « Les Démons de Jésus » (1996). Son parcours au cinéma en aurait déjà satisfait plus d’un tant les collaborations sont riches :
 
 

Bertrand Blier : « Merci la vie » 1991 ; surprenantes avec la comédie de Gérard Lauzier : « Le fils du Français »1999, voire mythiques : Brian de Palma : « Femme fatale » en 2002, mais non, il ne peut se cantonner au cinéma, pire, il avoue être tout autant amoureux du théâtre : « je rêvais de monter sur les planches, de me confronter à un public, de verser un « trop plein » en moi… Ce rêve était un rêve d’enfant ».

Alors, après une première pièce (« Poil de Carotte » en 1982), qui le consolide dans son choix, il passe par la case « Cours Florent », écoute les conseils de Francis Huster et s’en va vite passer et réussir le Concours d’entrée au Conservatoire National Supérieur de Paris. Il n’a pas vingt ans.

 
 
Parallèlement, il suit une formation donnée par Jack Waltzer, de l’Actor Studio, et s’aguerrit de la Méthode créée par Strasberg suivant le « système » de Stanislavski. En 1987, c’est dans « Les acteurs de bonne foi » (Marivaux) qu’il débute en tant que professionnel sa carrière théâtrale, avec la ferme volonté de ne pas en rester là : « j’avais une vraie boulimie de théâtre comme d’autres de mon âge avaient certainement une boulimie de musique ou du Palace… ». Quoiqu’il en soit, il n’a de cesse de marquer de son empreinte les planches des grands théâtres, interprétant une douzaine de pièces, ratissant de Claudel (« Tête d’or » en 1988) à Arthur Miller (« Le Miroir » 2005-2006), ou de Tchekov (« La Cerisaie » 1993) à Bruchner (« La mort de Danton » mis en scène par le génial Klaus Mikael Gruber en 1989 au théâtre de Nanterre).
 
     
 
Il fait également partie de la troupe qui remporte le Molière de la Meilleure Pièce de l’année 1997 avec « Kinkali », mis en scène par Philippe Adrien au théâtre de La Colline puis empoche le Molière du Meilleur Second rôle pour « Signé Dumas » en 2004, même si on n’a toujours pas vraiment compris pourquoi il n’a pas obtenu le Molière du Meilleur comédien puisque, à moins d’être tombé sur la tête, il paraissait évident que son personnage était un premier rôle… Et certain ne s’y trompent pas d’ailleurs, comme Roman Polanski, qui confesse avoir été « impressionné » par sa prestation (il campe le rôle d’Auguste Maquet, le nègre d’Alexandre Dumas) au point de lui proposer le rôle phare de « Doute », une pièce de John Patrick Shanley , celui d’un prêtre enseignant catholique soupçonné de pédophilie avec un élève de 12 ans dans le Bronx des années 60 (en 2006).
 
     
 
Pour le journal : Le Monde : « Thierry Frémont, le Père Flynn, joue sur le fil du rasoir, un homme convaincant, attachant, ambigu, juste ce qu’il faut ». Et effectivement, la mise en scène, comme la composition de l’acteur, marqueront les esprits. S’ensuivront une pièce plus dilettante : « Thalasso », d’Amanda Sthers au Théâtre Hébertot (2007) et « Le vertige des animaux avant l’abattage » de Dimitris Dimitriadis (Théâtre de l’Odéon, Ateliers Berthier, en 2010) où l’acteur se met à nu, au sens figuré comme au sens propre, servant une pièce contemporaine de trois heures particulièrement difficile à interpréter, tant sur le plan du texte que physiquement, à croire que Thierry Frémont s’excusait presque d’avoir joué une pièce plus légère la fois précédente… Mission accomplie, la prestation est une nouvelle fois unanimement applaudie. Dans le même temps, ses apparitions au cinéma, comme à la télévision, ne sont pas en reste.
 
 

Entre l’année 2000 et aujourd’hui (2011), il joue dans pas moins de dix-neuf long-métrages et une quinzaine de téléfilms ! Comment fait-il ?

« J’ai besoin de bâtir, d’être en action, en permanence, et de faire parti du « mouvement », au point d’anticiper parfois avec crainte qu’il ne s’arrête. C’est compulsif, je le sais, j’ai une boulimie intérieure qui m’impose, presque malgré moi (rires), de me fondre dans des personnages et des scénarios avec toujours autant d’appétit, comme si je n’étais jamais rassasié même si, au fond, j’ai également cette peur de manquer, peur probablement due à mes origines (modestes)». Un « acteur-glouton » en somme, qui ne se permet ni de perdre du temps, ni d’accepter des propositions qui ne le toucheraient pas de manière profonde et sincère.

 
 
Un homme perpétuellement sur le ring du Septième Art, vraisemblablement à l’image du sport qu’il pratique et affectionne particulièrement : la boxe… Hérité de son père (qui fut boxeur et fit des combats amateurs), ce sport lui apprend, selon ses propres mots, « le courage, à regarder dans les yeux et à se déplacer dans l’espace », qualités qui ne manquent pas de le servir au théâtre comme au cinéma ! Son rôle musclé de barbouze tueur à gage dans l’excellent : « Une affaire d’Etat » (d’Eric Valette, en 2009) ne démentira pas cette hypothèse. Le film remportera d’ailleurs, et il n’y est pas pour rien, le Prix polar du meilleur film français lors du festival de Cognac en 2010.
 
 

Quant à sa prestation de Pablo Picasso où, à l’instar de Francis Heaulme, il se grime, mute, fait siennes des attitudes du peintre au point d’en déconcerter les plus sceptiques, il obtient avant sa diffusion à la télévision (France 2 : « La femme qui pleure au chapeau rouge » de Jean-Daniel Verhaeghe), le Prix d’interprétation masculine au prestigieux Festival de la fiction de la Rochelle en 2010.

Un acteur physique, donc, alternant des rôles parfois « très sport » tout comme d’autres confinant la métamorphose au rang d’exploit avec, néanmoins, et c’est aussi ici que le talent puise sa quintessence, des personnages sensibles, délicats à jouer, parce que dotés d’une psychologie complexe et compliquée à cerner.

Ce que Thierry Frémont parvient à faire avec une naturelle modestie, tout en discrétion et bien loin de toute médiatisation. Parce que ce métier est sa vie, nous l’avons compris, intrinsèquement, au point que cela lui tient tant à cœur que, pour une fois, il se refuse de faire semblant ou d’en jouer…


Portrait réalisé par Renaud Santa Maria, journaliste et écrivain.
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